Académie Sainte-Anne de Victoria (Colombie-Britannique)
par Oliveau-Moore, Sophie
Au cœur de Victoria, capitale de la Colombie-Britannique et ville de culture essentiellement anglophone, se trouve un fleuron architectural qui rappelle par ses lignes classiques et majestueuses l’apparence sereine des couvents du Québec. Initialement conçue par un Canadien français du Québec, le frère Joseph Michaud, et construite sous la direction d’un architecte de Montréal, l’Académie Sainte-Anne (Saint Ann’s Academy) fut pendant plus d’un siècle la maison-mère des Sœurs de Sainte-Anne sur la côte ouest du pays. Cet établissement se consacra à l’éducation des filles, prodiguant un enseignement d’une qualité telle que des jeunes femmes du monde entier se rendirent à Victoria pour en bénéficier. Après que l’Académie dût fermer ses portes en 1973 pour des raisons principalement financières, le gouvernement provincial racheta le bâtiment et en fit un site du patrimoine, désormais ouvert au public. Bien que l’Académie Sainte-Anne ait été un établissement d’éducation anglophone, son existence nous rappelle la présence et l’influence des Canadiens français dans l’histoire de l’éducation en Colombie-Britannique.
Article available in English : Saint Ann’s Academy in Victoria (British Columbia)
Un trésor du patrimoine de l’Amérique française au cœur de Victoria
En 1995, le gouvernement de la Colombie-Britannique a fait l’acquisition de l’Académie Sainte-Anne (St. Ann’s Academy) et il a entrepris la restauration complète des lieux. Les bâtiments abritent aujourd’hui un centre d’interprétation présentant l’histoire de cette institution ainsi que les bureaux de l’organisme The Society of Friends of St. Ann’s Academy, dont la mission est de préserver l’héritage spirituel, social et culturel de l’institution. Cette société organise notamment les célébrations entourant le 150e anniversaire de l’arrivée des Sœurs de Sainte-Anne à Victoria en juin 2008.
La chapelle de l’Académie Sainte-Anne est un monument classé par le gouvernement de la Colombie-Britannique. Elle a été conçue et construite en 1858 sous la supervision du frère Joseph Michaud, originaire du Québec, et elle abrite notamment trois autels sculptés par le frère Michaud, ainsi qu’un orgue Casavant (fabriqué à Saint-Hyacinthe, au Québec) acquis en 1913.
L'histoire de l'Académie Sainte-Anne
La congrégation des Sœurs de Sainte-Anne a été fondée au Québec en 1850 par Esther Blondin (Mère Marie-Anne) afin d’alphabétiser les habitants des campagnes et de soigner les malades. En 1857, Monseigneur Modeste Demers, l’évêque de la colonie de l’île de Vancouver, originaire du Québec, demanda à l’ordre d’envoyer des religieuses à Fort Victoria pour évangéliser et alphabétiser les enfants autochtones et métis. Quatre sœurs furent choisies pour répondre à cet appel. Après un long et pénible voyage, elles arrivèrent dans la colonie en juin 1858, au moment précis où le petit fort assistait à une explosion de population. En effet, la découverte de gisements aurifères dans la région de la rivière Fraser amena de Californie des milliers d’émigrants américains, avides de faire fortune.
Jusque-là, la population de Fort Victoria avait été en grande partie francophone, grâce à la présence des employés canadiens-français de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de leurs familles. Cette vague démographique renversa la situation. Quant aux religieuses, alors qu’elles prévoyaient enseigner en français à un petit groupe d’enfants autochtones, elles durent faire face à la demande des parents anglophones de la colonie, qui amenèrent leurs filles à leur petite école dès le jour de son ouverture (parmi ces dernières se trouvaient les propres filles du gouverneur, Sir James Douglas). Heureusement, soeur Marie-de-la-Conception avait vécu dans un village mixte canadien-français et irlandais du Québec et parlait l’anglais. Elle se chargea d’enseigner à la clientèle anglophone pendant qu’une autre sœur prenait en charge le groupe plus restreint d’enfants francophones.
Le bâtiment original, baptisé le « couvent pionnier », fut l’humble précurseur de l’Académie Sainte-Anne. Il mesurait 30 pieds sur 25 et il était construit selon l’ancienne technique française des poteaux sur soles. Sans lambris et d’une pièce unique, la petite maison servait tout à la fois d’école et de logis aux religieuses. Dès leur arrivée, les quatre sœurs, débordées par leurs tâches d’enseignantes et d’infirmières, firent appel à la maison-mère du Québec qui envoya l’année suivante deux autres religieuses en renfort, notamment sœur Marie-de-la-Providence, d’origine irlandaise, qui remplaça sœur Marie-du-Sacré-Coeur comme supérieure. Les sœurs missionnaires ne chômèrent pas et, très vite, leur petite école dut être agrandie. En 1863, huit autres religieuses arrivèrent du Québec. En 1860, Monseigneur Demers avait fait bâtir un nouveau couvent en briques dans la rue View et en fit don à la congrégation. La demande pour les services éducatifs des religieuses étant croissante, ce bâtiment devint vite trop petit lui aussi.
En septembre 1871, sur le terrain de l’ancien jardin Tuzeau, en bordure du parc Beacon Hill, débuta la construction d’un nouveau couvent qui devait devenir l’Académie Sainte-Anne. Le 9 mars 1872, le bâtiment majestueux de la nouvelle école ouvrit ses portes. On était loin des humbles débuts du petit couvent pionnier. L’Académie se consacra essentiellement à l’éducation des filles (les garçons étaient pris en charge par les Pères Oblats du Collège Saint-Louis après la troisième année).
Jusqu’en 1973, cet institut offrit aux jeunes filles de la région une éducation hors pair. Sa réputation était telle que des familles de contrées aussi lointaines que le Yukon, l’Alaska, l’Oregon, le Chili, le Mexique, le Pérou et Hong-Kong lui envoyèrent leurs filles. L’Académie était constituée d’un pensionnat mais aussi d’un externat. Elle acceptait les jeunes filles de toute confession religieuse. En principe, aucune distinction de classe ou de race n’était admise. Malheureusement, à cause de la pression de parents d’élèves originaires des États-Unis, cela ne fut pas toujours le cas, ces parents exigeant des classes séparées pour les élèves à la peau noire (NOTE 1). Selon l’usage québécois, les élèves devaient s’adresser aux religieuses en les appelant « ma tante » (Aunt).
En 1892, l’Académie inaugura des classes d’école secondaire. L’enseignement était éclectique : à l’époque où il n’y avait encore aucune école d’art dans la région, l’Académie offrait à ses élèves un département d’art et de musique d’une excellente qualité, ainsi qu’une salle de spectacle et un gymnase. À partir de 1892, l’Académie donna aussi des cours commerciaux d’excellente réputation qui permettaient aux diplômées de trouver rapidement du travail dans la communauté de Victoria. La période des examens oraux était un événement public auquel venaient assister non seulement les familles des élèves mais aussi les dignitaires et les habitants de la collectivité. Pendant quarante-cinq ans, l’Académie eut son propre cursus scolaire et reçut toutes ses instructions de la maison-mère de la congrégation à Lachine, au Québec. En 1905, cependant, elle dut adopter le cursus de la Colombie-Britannique.
Les Sœurs de Sainte-Anne poursuivirent leur travail de missionnaires, établissant des écoles et des hôpitaux dans toute la région du Nord-Ouest-Pacifique; bientôt, l’Académie devint leur maison-mère sur la côte ouest. En 1889, elle reçut du Vatican la permission de fonder un noviciat pour former sur place les nouvelles recrues. La mission de service de l’Académie fut parfaitement résumée en 1882 par la princesse Louise, fille de la reine Victoria, dans une visite au cours de laquelle elle remit à l’établissement la médaille d’excellence du Gouverneur général du Canada : « …Je parlerai à la reine ma mère pour lui dire l’excellent travail que vous faites ici. Vous prenez soin de l’humanité du berceau à la tombe. […]; je lui parlerai […] de votre dévouement et du service rendu par votre congrégation dans cette région reculée de l’empire. »
L'architecture
Situé non loin de la mer en bordure du parc Beacon Hill, le bâtiment imposant de l’Académie Sainte-Anne s’élève sur un terrain de six acres et demi. On pénètre dans l’allée centrale majestueuse par le portail de fer forgé ouvrant sur la rue Humboldt.
Le bâtiment initial (1871)
Les plans du bâtiment initial furent dessinés en 1871 par le frère Joseph Michaud, un clerc québécois de Saint-Viateur qui faisait partie de l’entourage de Monseigneur Demers. Sa construction fut réalisée sous la direction de Charles Vereydhen, un architecte montréalais installé à Victoria. Conçu pour évoquer les maisons religieuses du Québec, l’édifice présente des éléments néoclassiques tels que des pilastres, un parapet à balustrade, et un toit à pignons avec frontons. Ce fut le premier bâtiment de quatre étages réalisé en maçonnerie à Victoria. Afin de ressembler aux couvents de la province de Québec, ses murs de briques furent recouverts d’une mixture de peinture grise et de sable imitant la pierre. Un escalier à deux branches convergeant en une seule conduisait à l’entrée principale située au premier étage. À l’origine, ce bâtiment comprenait l’école, la résidence des sœurs et une petite chapelle. Lorsque l’établissement fut agrandi, l’aile initiale devint le siège du réfectoire des pensionnaires.
La chapelle (1886)
En 1886, la cathédrale catholique de Victoria étant devenue trop petite, l’évêque Seghers en fit don à l’Académie. Elle y fut transportée et en devint la chapelle. Cette petite église magnifique est un monument classé de la Colombie-Britannique. Elle avait été conçue et bâtie en 1858 par le talentueux frère Joseph Michaud, qui s’inspira des églises rurales de sa province natale de Québec. Construite en bois de cèdre de l’île de Vancouver et de séquoia importé de Californie, la chapelle offre aux regards admiratifs du visiteur une décoration polychrome, des rosettes au plafond ainsi que trois autels sculptés par le frère Michaud lui-même, des tableaux d’origine, des vitraux, et un grand orgue fabriqué par les frères Casavant de Saint-Hyacinthe au Québec, acquis en 1913.
L’aile est (1886)
En 1886, il fallut ajouter une aile à l’Académie. L’architecte John Teague en entreprit la construction. Ses plans restèrent fidèles à la conception d’origine du frère Joseph Michaud et s’inspirèrent aussi fortement du bâtiment de la maison-mère des Sœurs de Sainte-Anne à Lachine. L’aile est contribua à donner à l’Académie sa physionomie actuelle et conféra un caractère plus horizontal à l’édifice. L’entrée principale y fut déménagée et couronnée d’un fronton triangulaire. On construisit un escalier majestueux à deux côtés pour y accéder. Elle fut aussi surmontée d’un clocher, qui devint rapidement un point de repère dans la ligne d’horizon de Victoria. Grâce à cette annexe, la taille de l’Académie tripla. L’aile est put ainsi abriter des réfectoires, des dortoirs, des salles de jeux, des parloirs, un conservatoire de musique, une bibliothèque, une infirmerie, un dispensaire, des salles de classes et les bureaux de l’administration. On y trouvait aussi le couvent, résidence des sœurs dont l’accès était jalousement interdit aux élèves. Aujourd’hui, cette aile est le siège du Centre d’interprétation et des bureaux de l’organisme The Society of Friends of St. Ann’s Academy.
L’aile ouest (1910)
En 1910, l’architecte Thomas Hooper entreprit la construction de l’aile ouest, qui finit de donner au bâtiment ses proportions imposantes. Hooper conserva l’esprit néoclassique de ses prédécesseurs mais s’inspira aussi du style Second Empire, alors très en vogue dans l’architecture religieuse du Canada. Il donna à cette partie de l’édifice une toiture à la Mansart, accentuant ainsi l’influence française de l’architecture de l’Académie. Les dortoirs des pensionnaires et la bibliothèque furent déménagés dans la nouvelle annexe, dans laquelle on installa aussi un petit musée et une salle de spectacle.
Le parc
L’Académie Sainte-Anne est située dans une vaste cuvette marécageuse traversée par un ruisseau. Cela ne fut pas sans poser de problèmes pour la salubrité de l’édifice et pour la création de ses jardins. Le choix de cet emplacement peut paraître bizarre, mais il faut comprendre que les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson, arrivés quinze ans avant les Sœurs de Sainte-Anne, s’étaient déjà appropriés les meilleures parcelles de terrain. Heureusement, la construction de Victoria allant bon train, les entrepreneurs en bâtiment et les démolisseurs demandèrent la permission de déverser des tonnes de terre sur le terrain de l’Académie. Cela améliora considérablement la qualité du sol et résolut le problème de l’humidité dans le bâtiment. Ces conditions géologiques particulières déterminèrent la décision de placer l’édifice bien en retrait de l’entrée principale de la rue Humboldt, ce qui permit la création d’une allée centrale imposante. De chaque côté de l’escalier d’entrée, deux séquoias furent plantés par le père des deux premières élèves de Victoria à devenir des sœurs de Sainte-Anne.
Le terrain initialement acquis présentait déjà une grande variété d’arbres fruitiers, qui constituèrent le verger. Les religieuses, aidées par les élèves, cultivaient en outre un jardin potager à l’usage des cuisines de l’établissement. Le noviciat avait son propre jardin, dans lequel les novices pouvaient se retirer pour trouver la paix et la contemplation; il était également planté de légumes, mais aussi de fleurs, d’arbustes et d’aromates à la signification symbolique, représentant les vertus théologales. En 1911, le père Vullinghs dessina les plans de paysage du parc. Grâce à cela, vers 1922, on y trouvait une foison d’arbustes et de plates-bandes, mais aussi un arboretum, un terrain de tennis, un terrain de croquet, deux pavillons d’été, un cadran solaire et des allées de gravier. Enfin, jusqu’en 1908, l’Académie maintint un petit cimetière où étaient enterrées les religieuses décédées.
La restauration
En 1995, le gouvernement provincial, qui avait fait l’acquisition de l’Académie après sa fermeture en 1973, entreprit sa restauration complète. Cette initiative et la décision de faire de l’Académie Sainte-Anne un site du patrimoine épargnèrent à l’édifice le destin de son académie jumelle de New Westminster, au sud de Vancouver, qui fut rasée en 1969. La Colombie-Britannique étant une région sismique, la loi exige que tout bâtiment public se soumette à des rénovations structurelles, ce qui ne fut pas sans poser de problèmes aux restaurateurs de l’Académie. Le casse-tête fut résolu en insérant une coquille en béton armé entre les murs de l’édifice. L’intérieur fut également rénové avec le plus grand soin, en s’inspirant de photos d’archives et en utilisant du mobilier historique. Il en fut de même pour la chapelle : dans les années 1960, les exigences du concile Vatican II avaient contraint les religieuses à en dépouiller considérablement le décor. Ce dernier fut restauré dans le style des années 1920 et la chapelle retrouva ainsi sa gloire d’antan. Grâce à ces mesures prévoyantes, l’Académie Sainte-Anne est désormais un trésor public qui témoigne du dévouement à l’éducation des religieuses canadiennes-françaises et de leur contribution extraordinaire à l’histoire de la Colombie-Britannique.
Sophie Oliveau-Moore
Chercheure indépendante
NOTES
1. Les sœurs ont d’abord essayé de placer tous les enfants dans les mêmes classes, mais les parents des élèves américains ont protesté. Les sœurs les ont ensuite séparés en deux classes, la deuxième étant destinée aux élèves moins doués, parmi lesquels on retrouvait, selon les préjugés de l’époque, les élèves à la peau noire. En réaction, les parents des élèves de descendance africaine ont désormais refusé d’amener leurs enfants à l’Académie. Mais les sœurs ont choisi de conserver cette forme de ségrégation afin de ne pas perdre la majorité de leurs élèves.
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Vidéo
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Victoria (Film muet) Des vues aériennes révèlent la ville de Victoria durant les années 1920 et 1930. On voit le Parlement de la Colombie-Britannique, les rues et les édifices du centre-ville. Victoria est aussi réputée pour la beauté de ses parcs et jardins : on voit le Parc Beacon Hill, les célèbres Jardins Butchart reconnus comme Lieu historique du Canada depuis 2004, ainsi que les jardins de la résidence du maire de Victoria qui se distinguaient par la créativité de ses aménagements végétaux.
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